Dans le contexte de rareté de main-d’œuvre qui sévit au Québec, on reproche parfois aux ordres professionnels de faire obstacle à l’intégration en emploi des personnes immigrantes en leur imposant de lourdes procédures d’accès à la profession. Une analyse s’impose.
Débarquer au Québec avec un diplôme en architecture de son pays d’origine implique souvent plusieurs démarches qui donnent l’impression de repartir à zéro : faire reconnaître son diplôme, suivre des cours d’appoint, effectuer un stage, passer l’examen d’admission… De tels parcours peuvent se révéler frustrants pour des personnes qui ont déjà acquis la légitimité de pratiquer la profession ailleurs. Alors que le Québec manque de main-d’œuvre et qu’il reconnaît la valeur culturelle de l’immigration, il est tentant de dire que les ordres pourraient être moins regardants.
Or, ce serait oublier que la compétence des candidats et candidates doit répondre aux contraintes spécifiques du lieu d’intervention. Les ordres ont le devoir de s’en assurer. Pour protéger efficacement le public, on ne peut pas fixer des exigences d’admission élevées pour les gens formés ici et abaisser celles-ci lorsqu’il est temps d’intégrer des membres dont les études et la pratique ont eu lieu dans un tout autre contexte. Cela ne rendrait service à personne. En toute logique et en toute équité, le niveau minimal exigé pour l’admission à l’Ordre doit être le même pour tout le monde. Il en va de la confiance du public envers le système professionnel.
Vérification rigoureuse
Par définition, les membres d’un ordre professionnel utilisent leur jugement et leurs connaissances pour traiter de problèmes complexes que personne d’autre ne peut résoudre. L’architecte exerçant au Québec doit notamment intégrer des exigences de construction propres au contexte local, ne serait-ce qu’en matière de climat.
Un tel niveau de compétence doit être vérifié scrupuleusement, ce qui demande du temps. Le Conseil canadien de certification en architecture, qui traite la reconnaissance des équivalences pour les ordres canadiens, consacre en moyenne trois mois à une reconnaissance de diplôme, bien qu’il travaille à réduire ces délais. Une reconnaissance d’expérience, si on y est admissible, prend de huit à douze mois, voire deux ans si la documentation fournie n’est pas conforme.
Voies de passage
Cela dit, on peut faciliter la vie des architectes arrivant de l’étranger. Comme le rapporte l’article en couverture, ces architectes peinent souvent à concilier travail, famille et mise à niveau professionnelle pendant le long processus de reconnaissance imposé. L’OAQ ne tient pas de statistiques à cet égard, mais on entend que beaucoup abandonnent la partie, ce qui est contre-productif. Pallier ces difficultés peut certainement aider plus de gens à franchir toutes les étapes. Certains bureaux d’architectes en sont conscients et procurent un soutien adapté aux personnes concernées. C’est tout à fait admirable.
De son côté, l’OAQ vient de lancer son propre programme d’admission sur la base d’équivalences, dont la procédure se réalise en 60 jours si on y est admissible.
Mais surtout, au fil des ans, l’Ordre a conclu des accords de reconnaissance mutuelle (ARM) avec d’autres territoires, sous l’égide du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration. Ces ententes permettent aux architectes de certains pays d’éviter le stage et l’examen, moyennant une formation d’appoint. Cela dit, il n’en existe actuellement qu’une poignée (avec les autres provinces canadiennes, la France, les États-Unis, le Mexique, l’Australie et la Nouvelle-Zélande). Il en faudrait plus, et l’Ordre y travaille. Ainsi, un ARM est en voie de conclusion avec la Suisse. Une formule semblable a été négociée avec l’Union européenne, bien que le processus d’approbation par Québec soit toujours en cours. D’autres font l’objet de discussions.
Certains programmes du gouvernement du Québec offrent par ailleurs de l’aide financière pour couvrir les frais liés à la reconnaissance professionnelle. Il vaut la peine de se renseigner auprès de Services Québec, que l’on soit architecte de l’étranger ou employeur.
En un mot comme en cent, l’apport des architectes provenant de l’étranger est indéniable. Ils et elles sont bien placés pour marier le savoir-faire et le savoir-être québécois à ceux de leur lieu d’origine. L’Ordre peut et doit participer à leur intégration dans la mesure de ses moyens et de ses obligations, comme d’ailleurs tout l’écosystème professionnel québécois. C’est bien plus que dans l’air du temps. C’est dans notre erre d’aller. Et on y va ensemble.