Les règles du jeu ont longtemps favorisé les nouvelles constructions, mais, depuis quelques années, le maintien des actifs a la cote. Le cadre législatif et réglementaire ainsi que les programmes de subvention continuent tout de même à poser certains défis.
Gestion immobilière Quo Vadis s’est donnée pour mission de préserver et de restaurer des bâtiments d’importance historique. L’entreprise gère actuellement un portefeuille de 1,5 million de pieds carrés dans le sud-ouest de Montréal. Elle souhaite conserver ses immeubles sur une longue période. « Pour nous, le maintien des actifs est essentiel », explique la présidente, Natalie Voland.
L’entreprise a obtenu la certification B Corp, qui témoigne de son engagement à respecter des exigences sociétales, environnementales et de gouvernance très élevées. « Nous accordons une grande attention à nos impacts sur l’environnement et sur la communauté, poursuit Natalie Voland. Les travaux de maintien représentent des occasions d’améliorer l’efficacité énergétique de nos édifices. » Malheureusement, les subventions de maintien sont généralement réservées aux coopératives et aux organismes à but non lucratif (OBNL).
« Le privé devrait recevoir des subventions lorsque ses travaux de maintien aident à réduire l’empreinte écologique des édifices et à rallonger leur vie », estime Natalie Voland. Elle se réjouit cependant d’une certaine ouverture du côté des institutions financières. En novembre 2022, la Banque Nationale a octroyé à Quo Vadis un prêt de transition à la carboneutralité pour la revitalisation complète du Complexe du Canal Lachine, un ancien bâtiment industriel qui abrite 250 lofts commerciaux loués principalement à des artistes.
Une équation complexe
Les coopératives d’habitation et les OBNL affrontent aussi des défis financiers et réglementaires.
La Loi sur les coopératives impose aux premières de réaliser un bilan de santé* de leurs bâtiments tous les cinq ans afin de déterminer les travaux à effectuer. « Les gestionnaires qui s’occupent du maintien doivent résoudre la difficile équation entre ce qu’ils doivent faire, ce qu’ils voudraient faire et ce qu’ils peuvent payer sans causer d’augmentation significative des loyers », résume Jean-Pascal Beaudoin, conseiller stratégique de l’organisme Bâtir son quartier, qui leur offre un service d’accompagnement en maintien des actifs*.
Le volet rénovation du Fonds national de co-investissement pour le logement du gouvernement fédéral offre des prêts à faible taux d’intérêt et des subventions pour rénover ou réparer des immeubles qui offrent des logements abordables. Les organisations doivent cependant respecter des exigences d’efficacité énergétique et d’accessibilité. Elles doivent démontrer que les travaux permettront de réduire la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 %. Au moins le cinquième des logements et toutes les aires communes doivent répondre aux normes d’accessibilité.
Jusqu’à tout récemment, la Société canadienne d’hypothèques et de logement offrait en outre un financement qui couvrait le démarrage et la planification des projets. « Malheureusement, le programme n’a plus de fonds depuis l’automne dernier et n’accepte plus de nouvelles demandes, ce qui nous inquiète beaucoup », déplore Jean-Pascal Beaudoin.
Le programme Rénovation Québec octroie pour sa part des fonds aux municipalités qui se dotent d’un programme pour améliorer leurs logements dans les secteurs résidentiels dégradés. « Les municipalités utilisent leurs propres fonds, mais comptent aussi beaucoup sur cet argent venu du gouvernement provincial. Or, Québec a coupé dans son enveloppe l’an dernier », relate Jean-Pascal Beaudoin. La somme de 13,1 M$ prévue pour 2022-2023 avait en effet été ramenée à 4,1 M$, avec un montant additionnel de 8,7 M$ pour 2023-2024. Par la suite, un peu plus de 20 M$ devraient y être consacrés jusqu’en 2027.

Photos : Denis Tremblay
L’État en mode rattrapage
L’État québécois n’a pas toujours fait preuve d’exemplarité dans le maintien de ses actifs. L’effondrement du viaduc de la Concorde, en 2006, a constitué un sérieux rappel à l’ordre. Dans la foulée de ce drame, qui a fait cinq morts, le gouvernement du Québec a adopté en 2007 la Loi favorisant le maintien et le renouvellement des infrastructures publiques, puis en 2013 la Loi sur les infrastructures publiques (LIP). C’est cette dernière qui encadre désormais le maintien des actifs.
Le gouvernement évalue ses infrastructures en fonction d’un indice d’état gouvernemental (IEG), qui va de A à E. Les actifs cotés D ou E sont généralement jugés en déficit de maintien*. L’État emploie aussi un indice de vétusté*. Idéalement, tous les actifs devraient afficher un indice de 15 % ou moins.
Les ministères et certains organismes du gouvernement doivent dresser et tenir à jour un inventaire complet des infrastructures sous leur responsabilité. Chaque ministre rédige en outre un plan annuel de gestion des investissements publics en infrastructures. Ce plan présente des données sur l’effet de ces fonds sur la résorption du déficit de maintien et la pérennité des infrastructures.
Publié chaque année par le Conseil du trésor, le Plan québécois des infrastructures (PQI) prévoit 80,9 G$ pour le maintien des actifs au cours de la décennie 2023-2033, soit 54 % du total de 150 G$. Près de 71 % de l’augmentation de l’enveloppe du PQI cette année vise d’ailleurs ce type de projets.
Au-delà des exigences
C’est dans ce contexte que la Société québécoise des infrastructures (SQI) gère le maintien de son parc immobilier, qui comprend 374 actifs, dont des immeubles de bureaux, des centres de transport, des palais de justice, des postes de la Sûreté du Québec, des stationnements souterrains et des tunnels. Un peu plus de 40 % d’entre eux affichent un IEG de D ou E. Le déficit de maintien de ses immeubles s’élève à 665 M$, et le PQI prévoit un investissement de 263 M$ afin de le réduire de 40 % en 10 ans.
L’organisme va au-delà des exigences de la LIP dans sa planification. Alors que cette dernière demande une inspection des actifs tous les cinq ans, la SQI inspecte presque chaque année les composantes les plus critiques de ses bâtiments, comme les systèmes de chauffage. « Depuis deux ans, la SQI a ajouté une cote d’impact pour déterminer quels travaux de maintien sont réellement les plus urgents », ajoute Patrick Lachapelle, directeur général de l’exploitation en région et de la coordination. Cette cote traduit les répercussions des problèmes d’un bâtiment sur la santé et la sécurité des personnes (son critère le plus important), sur la continuité des affaires et sur la pérennité du bâtiment.
Par ailleurs, la SQI intègre maintenant la vulnérabilité aux changements climatiques et l’analyse du cycle de vie* dans ses évaluations et sa planification des besoins en maintien d’actifs.
Outre les sommes investies, c’est cependant la réalisation des projets qui compte. « Le gouvernement suit de près les taux de réalisation des projets de maintien, donc il faut livrer », conclut Patrick Lachapelle.
Recycler ce qui existe
La Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire (PNAAT), dévoilée par Québec en juin 2022, accorde elle aussi une certaine place au maintien des actifs.
De fait, la PNAAT mise sur l’optimi-sation des infrastructures existantes par l’entremise de leur recyclage, de leur requalification et de leur réutilisation. Cela inclut le maintien des bâtiments, notamment celui des édifices patrimoniaux, afin d’éviter qu’une trop grande dégradation entraîne leur perte. « Dans un contexte de changement climatique et de développement durable du territoire, le maintien des actifs est une pratique exemplaire », peut-on y lire.
Les différents ministères et organismes offrent aussi leurs propres programmes pour assurer et soutenir le maintien des actifs. Du côté du ministère de la Culture et des Communications, par exemple, le programme d’aide aux immobilisations comporte un volet concernant le maintien et la bonification des infrastructures et des équipements culturels. D’autres mesures comme le Programme de soutien au milieu municipal en patrimoine immobilier et l’Aide aux initiatives de partenariat peuvent également être mises à contribution par les municipalités et les municipalités régionales de comté.
Un mauvais bulletin pour les écoles
Le gouvernement québécois s’efforce par ailleurs de rattraper l’immense retard qu’il a accumulé dans le réseau de l’éducation. Le PQI de 2023-2033 indiquait que les deux tiers de son parc d’infrastructures sont en mauvais ou en très mauvais état (cotes D ou E). Le premier ministre François Legault a causé des remous en mettant en doute ce bulletin médiocre en mars dernier. Il a dit soupçonner certains centres de services scolaires (CSS) d’exagérer la vétusté de leurs installations pour obtenir plus de fonds, une allégation que les CSS ont rejetée en bloc.
Du côté de l’enseignement supérieur, seulement la moitié des actifs sont jugés en bon état. Le déficit de maintien est évalué à près de 2 G$. Le PQI consacre 6,3 G$ au maintien, à la prise en charge du déficit de maintien et au remplacement des équipements en fin de vie. Toutefois, les universités font face à plusieurs défis dans leur tentative de combler ce déficit.
L’Université McGill, par exemple, gère un vaste parc immobilier, dont une bonne partie est assez âgée. Certains bâtiments ont plus de 100 ans. Le plus ancien, le pavillon des arts McCall MacBain, date de 1839. Beaucoup d’autres ont été construits dans les années 1950. Le déficit de maintien des actifs s’y élève à 880 M$. Près de 45 % de ce déficit est lié à l’enveloppe des édifices.
Certains éléments ajoutent à la difficulté, notamment les exigences croissantes de performance énergétique imposées par la Ville de Montréal et le gouvernement. « Nous devons améliorer la performance de l’enveloppe de nos bâtiments, mais en respectant les contraintes qui viennent avec leur intérêt patrimonial, ce qui est complexe et coûteux, indique Jérôme Conraud, directeur de la Gestion des services d’utilité publique et de l’énergie. L’État ne tient pas compte de ces coûts supplémentaires dans son financement. » Par ailleurs, certains bâtiments comme les résidences étudiantes ne sont pas admissibles au financement du ministère.
« Nous dépensons environ 100 M$ annuellement dans le maintien des actifs, précise Jérôme Conraud. Nous devrons y investir 1,5 G$ au cours des 10 prochaines années. »
* Voir « Petit lexique du maintien des actifs ».
Les règles se resserrent
Un récent changement à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) vise à améliorer le maintien des actifs dans les municipalités du Québec.
Depuis sa modification en 2021, la LAU oblige les municipalités à se doter d’un règlement sur les démolitions à compter du 1er avril 2023 et d’un règlement sur l’occupation et l’entretien des bâtiments d’ici avril 2026. Celles qui avaient déjà promulgué un ou des règlements de ce genre devront les revoir en profondeur.
Auparavant, les municipalités qui n’avaient pas de règlement en matière de démolition traitaient les demandes en ce sens lors de l’étude de projets plus vastes. « Si la municipalité acceptait le projet, elle autorisait du même coup la démolition, sans s’être penchée sur cet aspect particulier », explique Nicolas Fontaine, directeur des orientations et de la gouvernance municipales au ministère des Affaires municipales et de l’Habitation.
Désormais, un comité de trois membres du conseil municipal analysera chaque demande de démolition en fonction de critères précis tels que la valeur patrimoniale de l’immeuble et son état. « La LAU prévoit des critères minimaux, mais les municipalités peuvent en ajouter », indique Nicolas Fontaine.
Dans le cas des immeubles patrimoniaux, les municipalités devront émettre des avis publics, prendre en compte des critères additionnels (histoire, intégrité, contribution à un ensemble, etc.) et tenir des audiences publiques. Celles qui ont un conseil local du patrimoine devront en outre le consulter. Le processus permet aussi à une tierce partie d’acquérir l’immeuble pour le préserver.
Contrer la négligence
Depuis 2021, une disposition de la LAU exige également l’adoption d’un règlement quant à l’entretien des bâtiments qui devra minimalement viser les immeubles patrimoniaux. « Son entrée en vigueur est prévue pour avril 2026 afin que toutes les municipalités aient le temps de dresser un inventaire de leur patrimoine », souligne Nicolas Fontaine.
Le règlement devra contenir des normes pour empêcher le dépérissement des bâtiments, les protéger contre les intempéries et en préserver l’intégrité structurelle. Les municipalités jouiront de pouvoirs d’expropriation plus importants et pourront imposer des amendes allant jusqu’à 250 000 $, comparativement à un maximum de 4000 $ actuellement.
Des protections supplémentaires
La Ville de Sherbrooke possédait déjà de tels règlements et travaille à les adapter à la nouvelle législation. Ces règlements ont permis d’éviter certaines démolitions, mais ont aussi montré leurs limites, selon Geneviève La Roche, conseillère municipale du district d’Ascot et présidente de la Commission de l’aménagement du territoire. Elle mentionne notamment la démolition, en 2022, d’une maison patrimoniale de la rue Gordon autorisée en raison de son état de délabrement. Elle se réjouit de constater que la nouvelle législation élimine les critères de détérioration de l’apparence architecturale et du caractère esthétique. Autrement dit, on ne pourra plus démolir un immeuble sous le seul prétexte de son apparence; il faudra plutôt tenir compte de son état général et de sa valeur. « Cela offrira des protections supplémentaires à un immeuble, même s’il est détérioré », croit-elle.
La municipalité ira plus loin que l’exige la loi sur certains points. Elle créera, par exemple, une catégorie d’immeubles d’intérêt patrimonial. Cela lui permettra d’imposer que soient soumis à une étude patrimoniale des bâtiments qui ne sont pas encore classés et qui font l’objet d’une demande de démolition.