Les architectes doivent s'intéresser au maintien d'actifs. Cela fait partie de la raison d'être de la profession.
L’architecture est parmi les formes de création les plus pérennes qui soient. Le bâti s’inscrit de manière permanente dans l’espace public et teinte sans contredit la personnalité des communautés. Outre sa fonctionnalité ou ses qualités esthétiques, la solidité et la sécurité de l’ouvrage lui permettront de passer l’épreuve du temps. C’est ce qui constitue la base de notre prestation de services en tant qu’architectes. Mais cela ne nous engage pas qu’au moment de la conception. Le maintien d’actifs doit aussi faire partie de notre offre de services.
Affirmer ce que nous sommes
Pour communiquer au public ce qui la distingue, notre profession doit maîtriser tous les aspects du construit. Comprendre le bâti existant, incluant ses aspects techniques, et savoir au besoin lui redonner une cure de jouvence, c’est dans nos gènes d’architectes, et c’est en partie ce qui nous donne notre crédibilité. Si nous devions bouder cette facette de notre profession, la société pourrait se tourner exclusivement vers d’autres pour bénéficier de conseils en matière de maintien d’actifs, voire de conception technique. Ce serait dommage, autant pour le construit que pour nous-mêmes, puisque cela étiolerait notre raison d’être.
C’est un peu la même chose avec la surveillance des travaux : si nous laissons l’entrepreneur interpréter nos plans sans vérifier qu’il en a une bonne compréhension, notre intention de départ peut s’en trouver affaiblie, tant en ce qui a trait à la sécurité et à la technique qu’au concept même. Mais si nous vérifions que ce que nous avons conçu est bien réalisé sur le chantier, quitte à le faire évoluer avec l’entrepreneur lorsque c’est nécessaire, le projet entier portera notre signature.
Cette préoccupation pour la technicité de nos créations ne remplace en rien notre besoin de faire appel aux autres disciplines, bien au contraire. Dans la mesure où nous respectons nos champs de pratique mutuels, nos collaborations avec les ingénieurs et ingénieures, technologues et autres spécialistes ne s’en trouvent qu’enrichies par le langage commun que nous pouvons acquérir.
Pérennité et vision globale
Le bâtiment le mieux conçu aura toujours besoin d’amour au fil des ans. Et le meilleur amant, la meilleure amante pour un bâtiment sera toujours l’architecte. C’est pourquoi nous devons nous intéresser au maintien d’actifs. Construire est une chose, mais entretenir et rajeunir ce qui a été conçu antérieurement par nos pairs en est une autre. Et c’est tout aussi noble, voire davantage, car cela requiert souvent une part d’humilité. Si nous aimons le construit, nous devons lui prodiguer les soins qu’il mérite.
Quand nous veillons au maintien d’actifs, nous avons l’occasion de faire des choix qui tiennent compte tant du concept initial que de l’évolution du milieu environnant. Parce que nous avons une capacité de lecture que d’autres n’ont pas, nous pouvons faire en sorte que le résultat soit à la fois durable, fonctionnel, pertinent et harmonieux. Ainsi, le bâtiment gardera sa cohérence initiale, quitte à la voir adaptée à de nouvelles valeurs et à de nouveaux paradigmes, en particulier celui de la réponse aux changements climatiques.
Depuis quelques années, heureusement, les pouvoirs publics investissent dans le maintien d’actifs et légifèrent sur l’obligation d’entretien. Ainsi, la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme impose aux municipalités d’adopter avant 2026 un règlement sur l’entretien et l’occupation visant minimalement les bâtiments patrimoniaux. Essentiellement, les propriétaires devront prévenir le dépérissement de leurs biens sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à 250 000 $.
La Ville de Montréal vient d’ailleurs de présenter un tel règlement visant l’ensemble des bâtiments de son territoire, avec des dispositions particulières pour les bâtiments patrimoniaux ou vacants. Encore une fois, la métropole prend les devants comme on peut s’y attendre; il faut le saluer.
Dans ce contexte, nous avons comme architectes une formidable occasion de faire valoir nos capacités en matière d’entretien et de maintien des actifs. Le public doit les reconnaître, les rechercher et y recourir systématiquement pour toute intervention sur le construit. Il n’en tient qu’à nous de l’en convaincre.
Plonger au cœur du sujet
Je vous invite donc à prendre connaissance du dossier de ce numéro d’Esquisses, un peu plus technique que d’habitude, disons-le. Il présente un tour d’horizon fouillé sur la gouvernance, la planification et la réglementation dans le domaine du maintien d’actifs au Québec en plus de mettre en lumière quelques cas exemplaires. Il constitue aussi une belle occasion de renouer avec la finalité de notre pratique : offrir à la société des environnements bâtis de qualité, qu’on reconnaît entre autres à leur pérennité.