Ayant grandi dans le nord de Montréal, je me souviens d’être allée à quelques reprises magasiner au Centre Rockland avec mes parents. À l’époque, l’endroit était complètement différent de ce qu’on connaît aujourd’hui. J’ai en mémoire une cour intérieure avec des arbres, des fleurs et même un bassin d’eau avec une fontaine ornée d’oiseaux en métal scintillant. Les magasins étaient disposés tout autour, sur un seul étage, à l’exception de Morgan, qui en comptait trois. On circulait le long des boutiques à l’extérieur, sur un trottoir abrité par un porche.
Aujourd’hui, le Centre Rockland existe toujours, mais depuis que les années 1980 lui sont passées sur le corps, rien ne subsiste des lignes modernes imaginées par Victor Prus et Ian Martin à la fin des années 1950. Disparues également les oeuvres d’art public signées par de grandes figures de l’époque, notamment Jean-Paul Mousseau et Norman Slater. (La fontaine aux oiseaux, c’était lui.) Pour le citoyen moyen, il n’est pas du tout évident de savoir qu’il s’agit du premier centre commercial de Montréal, ni que son architecture a jadis suscité l’admiration partout au pays – il a reçu la médaille Massey (l’ancêtre de la médaille du Gouverneur général) en 1961.
Le lieu est plus spacieux qu’avant, et sans doute ses rénovations successives ont-elles répondu à des besoins changeants. Mais on se trouve aujourd’hui devant un centre commercial qui ressemble à beaucoup d’autres, tant sur le plan des matériaux employés que de la disposition des espaces et de la circulation.
Cette uniformisation ne l’a pas empêché de prospérer, au contraire. Toutefois, ses meilleures années pourraient être derrière lui. C’est du moins ce que laisse entrevoir le dossier de ce numéro d’Esquisses. Les gourous du commerce de détail n’ont plus qu’un mot à la bouche : expérience. Pour faire sortir les consommateurs – et composer avec l’achat en ligne –, il faut leur faire vivre un moment unique et emballant en mélangeant le divertissement, la consommation, la culture et la détente. Cela vaut autant pour les centres commerciaux que pour les rues marchandes.
Avec pareilles ambitions, les promoteurs et les détaillants ne peuvent plus se contenter d’attirer le consommateur. Il leur faut s’adresser à l’humain dans ce qu’il a de sensible et de sociable, créer des espaces publics où il fera bon flâner sans se sentir obligé d’acheter. C’est exactement l’idée du troisième lieu, qui fait actuellement revivre les bibliothèques publiques (Esquisses, vol. 25, no 4, hiver 2014-2015).
Les architectes sont bien placés pour honorer cette commande. Leur formation les prépare à enrichir l’expérience sensorielle, à créer des parcours ponctués de découvertes, à situer un lieu dans l’espace et le temps – en s’appuyant notamment sur le patrimoine –, à tisser des liens avec le bâti environnant, bref à générer du beau qui a un sens. Si la tendance se maintient, d’excellentes occasions devraient donc s’offrir à nos membres.
Les municipalités, pour leur part, doivent saisir la balle au bond. Plusieurs ont un centre-ville qui souffre de la concurrence power centers implantés en périphérie – c’est du moins ce que l’OAQ a constaté lors de tournée de conversations publiques sur la politique québécoise de l’architecture, l’an dernier. Or, d’une part, les enfilades de boîtes beiges entourées de stationnements semblent avoir atteint un point de saturation, disent bonzes du commerce de détail. D’autre part, l’urgence de réduire notre empreinte écologique se fait sentir comme jamais, soulignent les experts du climat. Dans ce contexte, valoriser le bâti existant tombe le sens. Bien sûr, cela demande davantage d’imagination, mais cela fournit une occasion de redonner à l’espace public l’attractivité nécessaire à la prospérité et à la cohésion des communautés.
Que serait le Centre Rockland aujourd’hui on l’avait fait évoluer en continuité avec la vision de ses concepteurs ? J’ai comme l’impression qu’il servirait d’inspiration ceux qui veulent à présent instiller aux lieux un supplément d’âme. Il reste quelques photos d’archives si ça en intéresse certains.