Réimaginer une architecture permettant de vieillir en société d’une manière inclusive et durable constitue un enjeu de première importance au Québec. Olivier Fillion s’intéresse à cette question depuis plusieurs années. Grâce à l’une des bourses universitaires de l’OAQ, il tente de tisser les liens entre des innovations observées au Danemark et la situation québécoise. Voici son témoignage.
La population québécoise vieillit rapidement, ce qui entraîne une croissance de la demande de soins1. Ainsi, le quart de la population aura plus de 65 ans en 20312. Même si les Québécois et Québécoises souhaitent vieillir à la maison, « les services de soutien à domicile (SAD) sont désordonnés et inutilement complexes3 ». Des personnes aînées sont donc contraintes de demeurer hospitalisées en attendant qu’une place se libère dans un établissement d’hébergement. En effet, notre système de santé et de services sociaux est en crise4, avec des taux d’occupation maximaux dans les Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) et les Maisons des aînés (MDA) partout dans la province5. À cela s’ajoute une vague de fermetures et d’évictions touchant les résidences privées pour aînés (RPA)6. Cette situation est exacerbée par l’augmentation du coût de la vie et la crise du logement.
Étudiant en architecture à l’Université McGill, je m’intéresse aux enjeux du vieillissement de la population depuis 2021. Mon projet de maîtrise porte sur la réhumanisation des services sociaux et des espaces de soins. À l’été 2023, la bourse de l’OAQ m’a permis de poursuivre ma démarche en effectuant un voyage d’études à Aarhus, au Danemark, afin de visiter la Maison des générations (Generationernes Hus).
Construit en 2020, cet établissement offre un nouveau modèle d’habitation intergénérationnelle abordable qui s’appuie sur la mixité fonctionnelle et sociale afin de renforcer l’autonomie des personnes aînées tout en combattant l’âgisme et l’isolement. Il m’apparaissait indispensable d’analyser ce projet unique en son genre, d’en comprendre l’architecture et la structure sociale et organisationnelle pour ensuite tenter d’en adapter les principes au contexte québécois.
Pourquoi le Danemark ?
Il y a quelques années, le système de santé et la population du Danemark étaient affligés des mêmes problèmes qu’au Québec. Le gouvernement a cependant adopté une approche totalement différente : la décentralisation et les soins à domicile, plutôt que le regroupement des personnes aînées en résidences spécialisées. Ce faisant, il a répondu au souhait de plus de 90 % de la population danoise et a réduit de moitié ses coûts de santé7. À la suite de cette restructuration, le gouvernement a continué à explorer différentes approches pour faire face aux enjeux du vieillissement, dont celle du Centre de santé Hillerød, achevé en 2017. Ce nouveau type d’environnement de soins réunit dans un même bâtiment des cliniques de réhabilitation et de kinésithérapie, et des logements avec soins à domicile. Accueillant, actif et engageant, le projet vise à déstigmatiser les soins pour personnes aînées et à les rendre visibles à la population locale. La Maison des générations est conçue selon ce modèle.
Un quartier où il fait bon vieillir
Le projet est situé sur une île artificielle, Aarhus Ø, dans une ancienne zone portuaire qui accueille aujourd’hui des ensembles privés de moyenne et grande hauteur entourés de promenades et de canaux qui donnent sur le Cattégat, un large passage maritime menant vers la mer du Nord. L’immeuble de 30 000 m2 occupe le seul lot public que possède la Municipalité dans ce quartier résidentiel, commercial et récréatif très vivant, à l’image de ceux qu’on trouve au Danemark.
La Maison des générations rassemble des gens de tous les groupes d’âge qui y interagissent un peu comme dans un minivillage. Aidées par la technologie (par exemple, un GPS intégré à leurs effets personnels), les personnes âgées sont libres de leurs mouvements, et ce, même si elles vivent avec des troubles neurocognitifs avancés tels que l’alzheimer. De plus, le bâtiment est entouré de canaux sans garde-corps ni système de sécurité, un aménagement impensable au Québec, mais typiquement danois par son intégration urbaine qui reflète une identité culturelle issue de la proximité avec l’eau.
Une architecture inclusive
Le directeur, Kristian Dall, explique que le projet est né d’un concours lancé par la Municipalité d’Aarhus. D’une valeur d’environ 70,5 M$, son financement a fait l’objet d’un partenariat entre la Municipalité et un organisme d’habitation à but non lucratif.
Le bâtiment de huit étages comprend 304 logements locatifs dont la superficie varie de 37 m2 à 100 m2 et qui sont destinés à diverses clientèles : personnes aînées non autonomes, semi-autonomes et autonomes, adultes vivant avec une déficience intellectuelle, étudiantes et étudiants et familles. En août 2023, le taux d’occupation était de 94 %. Les logements vacants étaient tous sur le point d’accueillir des personnes réfugiées en provenance de l’Ukraine.
Le rez-de-chaussée, ouvert au public, abrite un café employant des personnes en situation de handicap, des espaces multifonctionnels, une garderie, une buanderie, des ateliers multitechniques et des aménagements extérieurs favorisant le contact avec la population du quartier. Le bâtiment compte aussi des bureaux, une clinique de physiothérapie, une clinique médicale, un gymnase, des ateliers de création, un jardin sensoriel avec des installations interactives ludiques et des balcons.
Les architectes des firmes ERIK arkitekter, RUM et Kragh & Berglund ont organisé le programme en dispersant les différentes typologies de logement pour favoriser la mixité sociale et les échanges intergénérationnels. Bien qu’elle complexifie la tâche et les déplacements du personnel soignant, cette approche vise à prévenir l’isolement social chez les personnes aînées, qui représente un accélérateur de problèmes neurocognitifs. Dans cet esprit, les 150 enfants de la garderie, répartis en groupes, rencontrent des personnes plus âgées deux fois par semaine, ce qui encourage des échanges bénéfiques entre les générations, selon le personnel.
Gouvernance innovante
En dépit de ce programme varié, les coûts opérationnels et le financement annuel restent semblables aux autres modèles de soins au Danemark. Seulement deux postes soutenant l’auto-organisation, financés par subventions, ont été ajoutés à l’organigramme type. Comme une coopérative d’habitation, la Maison est encadrée par un conseil d’administration représentatif des résidents et résidentes. Cette structure inclusive encourage la participation des personnes aînées et renforce le sentiment d’appartenance dans ce minivillage.
Les coûts mensuels des loyers varient selon la typologie, allant de 933 $ CA pour un logement étudiant, à environ 1750 $ CA pour un logement pour personne aînée, autonome ou non, et 1890 $ CA pour un logement familial. Des prix abordables pour le Danemark, où le salaire annuel moyen (149 100 $ CA) était trois fois plus élevé qu’au Québec (51 000 $ CA) en 2023.
Pour un maximum d’inclusivité, il est possible de payer moins cher si on accepte d’occuper moins d’espace privé, donc un plus petit logement ou une plus petite chambre, et d’utiliser davantage les espaces partagés semi-privés tel que la cuisine, la salle à manger et le séjour. Cela dit, tous les loyers incluent une portion réservée aux activités et aux espaces communs de la Maison.
La Maison des générations a complètement changé la vie sociale des personnes aînées qui y habitent, selon Kristian Dall. « Elles peuvent enfin vivre dans un environnement avec des gens dans des situations similaires, sans être isolées du reste de la population. »
Adaptation québécoise
Ce voyage d’études m’a donné envie de répondre concrètement aux enjeux du vieillissement dans le contexte québécois. Inspiré par les enseignements d’Aarhus, j’ai cofondé en février 2024 le Collectif œuvrant pour des milieux mixtes, urbains et novateurs (COMMUN). Cet organisme à but non lucratif a pour but de concevoir un modèle d’habitation intergénérationnelle favorisant le « vieillir chez soi – ensemble ». Nous travaillons activement à l’élaboration d’une étude de faisabilité, à Montréal, pour un premier projet pilote de ce genre au Québec. Par son approche immobilière axée sur l’économie sociale, COMMUN s’attaque à la crise du logement et à l’isolement social tout en contribuant à la transition écosociale des milieux de vie.
- Ministère de la Famille. Les aînés du Québec, deuxième édition, 2018.
- Institut de la statistique du Québec. Vitrine statistique sur le vieillissement de la population, gouvernement du Québec, 2020.
- Commissaire à la santé et au bien-être. Bien vieillir chez soi, Une transformation qui s’impose, tome 4, 2024.
- Hébert, Réjean. Soigner les vieux, Les éditions La Presse, 2023.
- Ministère de la Santé et des Services sociaux. Données sur les listes d’attente en CHSLD, période 10, 2024.
- Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic (AQRP). 2500 évictions en RPA en un an, 2024.
- Johnson, Erica. Could Denmark offer the solutions to Canada’s elder care crisis?, CBC News: The National, 2022.