La responsabilité professionnelle de l’architecte peut être mise en cause pour des raisons inattendues, comme le non-respect des normes de dégagement des lignes électriques. Une décision jurisprudentielle l’a rappelé en 2023, tout en soulignant que l’architecte doit se soucier de telles normes dans son travail de conception et de coordination d’un projet.
Dans cette affaire1, c’est durant la construction que les parties ont constaté que, selon les normes applicables, le bâtiment se situait trop près de lignes électriques de moyenne tension qui surplombaient la ligne de propriété.
Les entreprises demanderesses, propriétaires de l’immeuble, ont donc dû assumer des frais non prévus, occasionnés par le déplacement des lignes électriques en cause. Elles reprochaient à l’architecte responsable de la conception du bâtiment et à la firme pour laquelle il travaillait alors de ne pas s’être assurés que l’implantation du bâtiment respectait les normes pertinentes. Elles poursuivaient également l’arpenteur-géomètre qui a préparé le plan d’implantation et son cabinet. L’architecte a ensuite impliqué la société qui gérait le chantier dans le litige, prétextant que cette dernière n’avait pas agi avec prudence et diligence et conformément aux usages, aux règles de l’art et au contrat de gérance puisqu’elle n’avait pas effectué les vérifications nécessaires auprès de l’autorité compétente.
Après analyse, le tribunal a conclu que seul l’architecte a commis une faute en ne s’assurant pas du respect des normes de dégagement d’Hydro-Québec, ce qui a causé un préjudice aux demanderesses.
La responsabilité de l’architecte
Le Manuel canadien de pratique de l’architecture et l’aide-mémoire qui en fait partie sont clairs : l’architecte doit prendre en compte les exigences de dégagement des câbles électriques lors de la conception d’un bâtiment.
Dans le cas présent, l’architecte s’était déplacé sur les lieux au tout début du projet, ce qui lui avait permis de voir les poteaux portant les lignes électriques. Il a ensuite conçu et implanté le futur bâtiment en se basant uniquement sur la règle voulant qu’un bâtiment doive respecter un dégagement horizontal minimal de deux mètres par rapport à une ligne électrique.
Cependant, comme l’indique la Cour, « une telle approche était simpliste et erronée, et ne tenait pas compte des normes de dégagement, qui font appel à diverses notions, dont celle du balancement des fils ». Cette omission a conduit à la construction d’un bâtiment situé trop près des lignes électriques, ce qui a nécessité le déplacement du réseau électrique à un coût important pour les propriétaires.
Après avoir entendu les architectes et un expert en architecture, le tribunal s’est exprimé ainsi quant aux devoirs de l’architecte en pareille situation :
« Certes, selon la preuve administrée devant le Tribunal, l’architecte n’est pas lui‑même capable de calculer le balancement [des fils]. Mais cela ne le dispense pas de tenir compte des normes. Car c’est lui qui positionne le bâtiment sur le site. Il s’ensuit que l’architecte doit s’enquérir de l’état de la situation auprès d’Hydro-Québec – soit directement, soit par l’entremise du gérant ou d’un autre tiers – afin de connaître les exigences exactes des normes de dégagement, y compris à l’égard du balancement, dans la situation en question. »
Quant aux autres parties impliquées dans ce litige, le tribunal conclut que l’arpenteur-géomètre n’a commis aucune faute, car il n’a pas l’expertise requise pour se prononcer sur cette question. Le gérant de chantier, de son côté, n’avait pas la responsabilité de vérifier les normes de dégagement, cette responsabilité incombant à l’architecte selon le contrat de gérance.
Finalement, le tribunal a condamné l’architecte à payer aux demanderesses la somme de 76 638,40 $, soit les frais directement liés au déplacement du réseau électrique. Les autres éléments de la réclamation ont été rejetés.
Conclusion
Ce cas met en lumière la responsabilité cruciale de l’architecte dans la conception, la supervision et la coordination d’un projet. Sa connaissance des réglementations et sa vigilance sont essentielles pour éviter des erreurs coûteuses et potentiellement dangereuses.
Pour prévenir de telles situations, les architectes doivent s’assurer de bien connaître les normes applicables et de consulter les autorités compétentes en cas de doute. De plus, il est important de collaborer étroitement avec les membres des autres professions participant au projet, comme les arpenteuses et arpenteurs-géomètres et les ingénieurs et ingénieures. l
Note : Le présent article ne constitue pas un avis juridique et ne remplace pas la consultation d’un avocat ou d’une avocate. Il est important de se référer à la décision complète du tribunal pour une analyse détaillée des faits et du droit applicable.
1. Habitations Meridiem Longueuil inc. c. Forme Gestion inc., 2023 QCCS 4181