Parc national des Îles-de-Boucherville
Centre découverte, Parc national des Îles-de-Boucherville, Smith Vigeant
Photo : Adrien Williams

Il y a cinq ans, le Québec adoptait sa Charte du bois afin de favoriser l’utilisation de ce matériau dans la construction. Jusque-là limité aux bâtiments de quatre étages ou moins, il a depuis pris un essor vertical. Les professionnels ont intérêt à se mettre à jour pour suivre le mouvement.

Lentement mais sûrement, le bois s’impose aux côtés de l’acier et du béton dans les projets de construction tant multirésidentiels que commerciaux et industriels. Entre 2006 et 2016, ses parts de marché sont passées de 15 à 28 %, selon une étude du Centre d’expertise sur la construction commerciale en bois (Cecobois), dont la mission est de promouvoir l’emploi du matériau. 

Le retour en force du bois s’est véritablement amorcé en 2008 avec l’adoption de la Stratégie d’utilisation du bois dans la construction, une démarche du gouvernement québécois pour relancer une industrie forestière en crise. Cette stratégie avait pour objectif de tripler en cinq ans la consommation de bois dans le secteur de la construction. Elle misait aussi sur les avantages de ce matériau comme ressource écologique renouvelable dans la lutte contre les changements climatiques.

La Charte du bois, adoptée en 2013 et actualisée en 2017, a réaffirmé la volonté gouvernementale de favoriser le bois dans la construction. Elle s’est traduite par différentes mesures : encourager les projets innovants, soutenir la recherche et le développement, et accroître l’offre de formation en construction en bois. Le gouvernement s’engageait aussi à faire preuve d’exemplarité en tant que donneur d’ouvrage (voir « Commande publique : Donner l’exemple» et « La Charte du bois : Matière de prédilection », Esquisses, hiver 2013-2014). « Cela envoyait un message très clair aux professionnels. S’ils voulaient faire des projets de bâtiments publics, ils devaient avoir un minimum de maîtrise dans la construction en bois et démontrer qu’ils avaient tout fait pour intégrer le matériau », explique Gérald Beaulieu, directeur de Cecobois.

« Le bois est un matériau qui se travaille bien à condition d’avoir les compétences nécessaires », selon Daniel Smith, architecte associé principal chez Smith Vigeant architectes. Sa firme a conçu le Centre de découverte du parc national des Îles-de-Boucherville, un bâtiment à ossature légère en bois d’œuvre qui a reçu plusieurs distinctions, dont un prix d’excellence du Conseil canadien du bois. Si l’industrie gagne en maturité, bâtir en bois exige un apprentissage continu, selon l’architecte, qui estime qu’encore trop peu d’ingénieurs et d’entrepreneurs généraux possèdent cette expertise, ce qui peut limiter les projets. 

Expériences formatrices

Des bâtiments de grande hauteur récemment érigés ont donné un aperçu des défis que représente la construction en bois. La tour de condos Origine, à Québec, qui s’élève à 13 étages, dont 12 en bois massif, est un de ceux-là.

« On se rend compte que ces projets exigent plus de planification qu’un bâtiment traditionnel, note son architecte, Yvan Blouin. Le passage des différents conduits, le percement des fenêtres, le transfert des charges, tout cela doit être défini plus tôt dans le projet. Il y a plus de travail à faire en amont, mais le temps de construction s’en trouve réduit. » Cela dit, le chantier d’Origine a été plus long que prévu, car, vu son caractère hors normes, plusieurs tests et approbations ont été demandés par la Régie du bâtiment.

Guy St-Jacques, vice-président Construction chez Sotramont, peut aussi témoigner des doutes à dissiper en ce qui concerne l’emploi du bois. Sa société érige entre autres le projet Arbora, qui compte trois immeubles résidentiels de huit étages construits en bois lamellé-croisé (CLT). « On a eu, par exemple, beaucoup de questionnements au sujet de l’étanchéité de l’enveloppe du bâtiment, raconte-t-il. Avant de poser un coupe-vapeur sur un mur de bois qui a huit ou neuf pouces d’épaisseur, il a fallu se demander où se situait le risque de point de rosée, soit la rencontre du chaud et du froid, pour éviter les problèmes d’humidité et de moisissures. Avec nos consultants, on a fait des tests pour avoir une enveloppe performante. Cela a représenté des mois de travail. »

Effervescence à l’UQAC

Un constat fait l’unanimité : pour que la filière continue d’évoluer, l’apprentissage doit s’accélérer. Actuellement, seule l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) prévoit des cours obligatoires sur la construction en bois à son programme de génie civil. « Nous les avons rendus obligatoires en 2012, soit un an avant l’adoption de la Charte du bois. Cinq ans plus tard, nous sommes encore les seuls au Canada », se désole Sylvain Ménard, professeur de génie civil spécialisé en structure bois.

Parallèlement, l’UQAC accroît sans cesse son offre de formation dans le domaine. En 2014, elle a lancé une maîtrise en ingénierie destinée aux professionnels en exercice qui propose quelques cours sur le bois. Une cinquantaine d’étudiants sont actuellement inscrits à ce programme, soit plus du double de la première année.

Depuis l’an dernier, l’UQAC offre également un programme court de deuxième cycle en ligne sur l’utilisation du bois dans la construction. « Il s’adresse aux ingénieurs et aux architectes. On voulait créer une interdisciplinarité pour que les deux corps de métier fassent équipe dans des projets communs », explique Sylvain Ménard. Parmi les inscrits, il y a quelques étudiants qui proviennent du génie mécanique, ajoute-t-il. « On n’a pas vu venir cette demande. Ils veulent mieux comprendre les spécificités des bâtiments en bois pour optimiser l’installation des systèmes mécaniques. »

L’UQAC propose aussi diverses activités de formation continue sur la construction en bois : webinaires, ateliers ou missions de transfert d’expertise au Québec et à l’étranger. Elle a également lancé, en septembre 2017, un cours en ligne ouvert à tous (MOOC) sur le bois et la carboneutralité des bâtiments. Au début de l’été 2018, plus de 360 personnes (architectes, ingénieurs, promoteurs immobiliers, constructeurs, etc.) y étaient inscrites, soit trois fois plus que l’objectif initial, selon Romain Cunat, agent de liaison au Centre de savoir sur mesure (CESAM) de l’UQAC. « Cela constitue une bonne entrée en matière pour quelqu’un qui veut augmenter son bagage technique et mieux comprendre les enjeux de la construction en bois », dit-il.

Du nouveau à l’Université Laval

De son côté, l’Université Laval vient de mettre sur pied deux chaires de leadership en enseignement (CLE) en conception de structures durables en bois et en construction intégrée en bois grâce à une aide financière de 650 000 $ du gouvernement du Québec. Elles permettront d’offrir, dès 2019, de nouveaux cours aux différents cycles d’études des programmes de génie civil, de génie du bois et d’architecture. Pour le moment, l’Université Laval n’offre qu’un seul cours dans le domaine du bois. Il s’agit d’un cours de base optionnel au baccalauréat en génie civil. Le projet de le rendre obligatoire « se heurte actuellement à la lourdeur du processus d’accréditation par le Bureau canadien d’agrément des programmes de génie (BCAPG) », explique Paul Lessard, directeur du Département de génie civil et du génie des eaux. Sans pouvoir donner de chiffres, il indique que le cours est de plus en plus populaire auprès des étudiants, qui « démontrent un intérêt accru envers la construction en bois ».

Bref, les bâtiments en bois gagnent en hauteur pendant que les connaissances gagnent en profondeur !

Faire monter les menuisiers

Le besoin de formation concerne aussi les travailleurs sur les chantiers. « Il leur faut apprendre de nouvelles façons de faire », explique Éric Guimond, président de Guimond Construction. L’entrepreneur général a pris le virage de la construction en bois il y a plus de 10 ans. Il a dû former ses menuisiers en conséquence. « Tous n’avaient pas les aptitudes pour travailler en hauteur, conduire des grues ou manœuvrer des appareils de levage. Ils ont dû aussi être formés aux mesures de sécurité.  » Comme peu d’entreprises au Québec offrent des services pour le montage de structures en bois, les prix sont élevés. « Des projets ne se réalisent pas en raison des coûts ou sont retardés parce que la main-d’œuvre n’est pas disponible, dit Éric Guimond. Avoir une équipe spécialisée à l’interne nous permet d’être efficaces et de respecter les échéanciers.  »

Le bon matériau au bon endroit

Tout ce branle-bas autour du bois ne veut pas dire qu’il faut en mettre partout. Avec l’expertise qui s’accroît au Québec, les architectes cherchent surtout à optimiser l’utilisation du matériau en privilégiant les concepts hybrides.

Pour le gymnase de l’école secondaire Le Transit, la firme d’architectes MLS et Associés, de Val-d’Or, a opté pour des colonnes en acier plutôt qu’en bois pour des raisons fonctionnelles et d’usage. « Les colonnes en acier sont plus fines que celles en bois, elles obstruent donc moins la vue, explique Martin St-Denis, architecte associé. On a aussi prévu les risques de dégradation. Des jeunes pourraient être tentés d’abîmer une structure en bois avec un canif, par exemple. Il faut penser à la longévité et à la pérennité du bâtiment. Si le matériau est utilisé aux mauvais endroits, cela procurera une mauvaise expérience aux utilisateurs, ce qui nuira aux projets en bois. »

Gérald Beaulieu, directeur de Cecobois, abonde dans ce sens : « Le bois, par sa polyvalence, sa faible empreinte environnementale, son caractère écologique, est le matériau de l’avenir. Cela dit, il ne faut pas être dogmatique. Il faut l’utiliser de façon optimale pour construire des bâtiments performants où le confort de l’occupant sera à l’avant-scène. »