La profession d’architecte n’échappe pas à la pénurie de main-d’œuvre au Québec. L’immigration pourrait combler une partie de l’écart entre les besoins de l’industrie et le nombre d’architectes sur le marché. Cependant, l’accès à la profession reste compliqué quand on arrive de l’étranger.
Les projets qui illustrent ce dossier ont compté sur l’apport d’architectes originaires de l’étranger.
Xinli Zhou est arrivée au Québec en 2012 armée d’une maîtrise en architecture décrochée en Chine, et d’un master en urbanisme et architecture d’une université parisienne. « J’étais architecte et cheffe de projet à l’agence française Patrick Chavannes et je parlais bien français, donc je pensais que pratiquer au Québec serait relativement simple », confie-t-elle.
Elle comprend rapidement qu’elle ne pourra pas être embauchée tout de suite à titre d’architecte ou même de technologue et qu’elle touchera un salaire bien inférieur à celui qu’elle recevait en France. Elle mettra près de six ans à franchir les étapes pour pouvoir pratiquer son métier. Elle a notamment eu besoin de quelques mois pour assembler tous les documents que le Conseil canadien de certification en architecture (CCCA) lui demandait pour faire reconnaître son diplôme chinois, puis elle a dû effectuer deux années de stage. Elle s’est préparée pour l’Examen des architectes du Canada (ExAC) et l’examen de français alors qu’elle venait d’avoir un premier enfant.
« J’ai dû accepter de ne pas pouvoir poursuivre rapidement ma carrière au même niveau et de ne pas pouvoir mettre à profit le bagage professionnel que j’avais mis des années à accumuler », raconte celle qui est aujourd’hui architecte et directrice de projets chez YHS Architecte.
Il y a sans doute lieu de rendre l’accès à l’exercice de la profession moins pénible pour les architectes originaires de l’étranger qui souhaitent s’établir ici. Le Québec aura besoin d’environ 214 architectes de plus que ce qu’il produira dans les 10 prochaines années, selon une récente étude de la firme Aviseo réalisée pour l’Ordre des architectes du Québec (OAQ).
Désavantage numérique
Aviseo estime qu’en moyenne, parmi les 173 personnes qui reçoivent annuellement leur diplôme de maîtrise en architecture au Québec, 146 pratiqueront chez nous. « S’il se maintient, ce nombre suffira à répondre à la demande engendrée par les départs à la retraite et les décès, mais pas à celle qui viendra de la croissance de l’économie et des investissements publics, prévient Nicolas Therrien, économiste et consultant principal pour Aviseo. Le déficit sera particulièrement marqué en dehors de Montréal et Québec. » En Montérégie, la demande pourrait excéder l’offre de 28 %, alors que cet écart risque d’atteindre 47 % dans les régions éloignées.
Le Québec devra donc se tourner vers l’immigration. De 2016 à 2021, la proportion des personnes issues de l’immigration dans l’effectif d’architectes est passée de 22 % à 26 %. Les permis délivrés par l’OAQ en vertu d’une reconnaissance des équivalences ont pour leur part augmenté de 97 % entre la période 2008-2012 et la période 2018-2022. Selon Aviseo, cette tendance à la hausse devra se poursuivre et même s’accélérer si l’on veut réduire l’écart entre l’offre et la demande sur le marché.
Repartir à zéro
À moins que leur pays n’ait conclu une entente avec le Québec (à l’instar des États-Unis et de la France, entre autres), les architectes originaires de l’étranger doivent pour la plupart franchir cinq étapes avant de pouvoir pratiquer chez nous. Il leur faut recevoir leur « certification académique » du CCCA; accomplir 3720 heures de stage; réussir l’ExAC; prouver leur maîtrise de la langue française et obtenir l’inscription au tableau de l’Ordre.
Marie-Thérèse Chicha, professeure titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, étudie les défis de l’intégration des professionnels et professionnelles provenant de l’étranger. « Ces personnes prennent un gros risque financier, sans aucune assurance de réussir, rappelle-t-elle. Les premières années sont notoirement difficiles. »
Ses recherches lui ont permis de constater que beaucoup tardent à se trouver un emploi, alors que d’autres, qui travaillent, manquent de temps pour préparer leurs examens ou suivre des cours de mise à niveau. « C’est particulièrement vrai pour les femmes, précise-t-elle. Très souvent, elles s’occupent des enfants et travaillent pendant que leur conjoint prépare ses examens, bien qu’elles aient également un profil de professionnel. Elles restent donc confinées à des emplois sous-qualifiés. »
La réussite de l’ExAC est aussi loin d’être acquise. De 2018 à 2021, en moyenne, 44 % des candidats et candidates ayant reçu une formation hors Québec ont échoué à cette épreuve, contre 17 % des personnes scolarisées au Québec.
L’appui des employeurs
Les cabinets qui accueillent ces personnes immigrantes jouent un rôle important dans leur capacité de réussir leur stage et l’ExAC. Le Tunisien Radhi Ben Chaabane est arrivé au Québec en juillet 2022 et a obtenu sa certification du CCCA près de cinq mois plus tard. L’organisme lui avait d’abord octroyé une certification provisoire lui donnant le droit d’entamer un stage chez MSDL. Il n’est pas du tout amer de ce pas de recul après 12 années passées comme architecte chez Oger International, une multinationale française de l’ingénierie de la construction, qui a notamment une filiale en Tunisie.
« Il y a de vraies particularités au Québec que je dois apprendre, reconnaît-il. Le climat, les exigences quant à l’enveloppe et les normes de construction, par exemple, diffèrent beaucoup de ce que j’ai connu ailleurs. Donc, les deux années de stage me semblent cruciales. »
Il précise toutefois qu’il a un peu galéré avant d’obtenir ce stage. Il a envoyé une trentaine de curriculum vitæ, dont la plupart sont restés sans réponse ou ont donné lieu à un refus. Cette difficulté l’a d’autant plus inquiété qu’il était arrivé au Québec avec sa conjointe et sa petite fille.
Son embauche chez MSDL a mis fin à ses tourments. « Ils ont vraiment pris en compte mon expérience, tant dans le salaire que dans l’expertise que je peux apporter, soutient-il. Ils m’offrent aussi l’accompagnement de mentors, qui m’aident à apprendre de nouvelles notions. » À l’aube de ses 40 ans, il apprécie cette occasion de parfaire ses connaissances. Il passera l’ExAC l’an prochain.
Une richesse pour les cabinets
Sur les 143 personnes qu’emploie le cabinet montréalais Jodoin Lamarre Pratte architectes, 23 ont été certifiées architectes à l’étranger. Parmi elles, sept sont actuellement architectes au Québec et quatre sont stagiaires et ont l’intention de pratiquer la profession chez nous. Un troisième groupe de six stagiaires ne sait pas encore s’il amorcera ce processus. Enfin, six autres ne le feront pas et continueront de travailler en estimation, en coordination BIM, en illustration 3D, etc.
Ces membres du personnel bénéficient du même processus d’intégration au sein de la firme que celles et ceux qui ont étudié ou pratiqué l’architecture au Québec. Cela comprend notamment l’assignation d’une personne-ressource qui les aide à se familiariser avec les pratiques du bureau et à y réseauter. « Le cabinet tente en outre de fournir aux immigrants du soutien supplémentaire en fonction de leur profil et de leurs besoins, que ce soit sur le plan de la langue, des techniques de construction ou des outils de travail », précise l’associé principal Nicolas Ranger.
Un programme d’aide interne leur est aussi offert en vue de la reconnaissance de leurs compétences par le CCCA ou encore la réussite de l’ExAC. « Nous ne voulons pas leur dire quoi faire, mais plutôt leur donner des outils pour réussir et nous assurer que des gens sont là pour répondre à leurs questions ou les conseiller », note la responsable des ressources humaines, Sara Othmane.
GKC Architectes, une firme établie à Montréal et à Toronto qui emploie 67 personnes, accueille aussi depuis longtemps des architectes ayant reçu leur formation à l’étranger. Elle en compte actuellement une douzaine, dont huit sont membres de l’OAQ ou de l’Association des architectes de l’Ontario, les quatre autres n’ayant pas obtenu leur certification au Canada. L’associé principal Fernando Lozano estime que la plupart ont déjà une bonne expérience et s’adaptent bien à nos pratiques. « C’est surtout l’enveloppe et la gestion de projets qui représentent des défis, donc nous les soutenons davantage sur ces aspects », explique-t-il.
Leur intégration s’effectue par le même chemin que pour quiconque a suivi sa formation au Québec. Ceux et celles qui veulent devenir membres de l’Ordre s’intègrent au programme de formation continue de la firme. « Leur arrivée est très fluide et ne constitue pas du tout un sujet de préoccupation chez nous », affirme la directrice des opérations, Anouchka Hurst.
Fernando Lozano soutient que ces architectes originaires de l’étranger apportent une grande richesse à GKC. Ils et elles posent beaucoup de questions sur les manières de travailler au Québec et peuvent témoigner des approches employées ailleurs, dans des pays où, par exemple, la résistance sismique est très importante ou qui ont une grande tradition de construction dans des milieux très chauds. « J’aimerais que l’ensemble des cabinets au Québec soient encore plus ouverts à ces travailleurs, car ils ont beaucoup à nous offrir. »
L’apport des étudiantes et étudiants de l’étranger
La proportion d’étudiants et d’étudiantes de l’étranger demeure faible dans nos écoles d’architecture. Pourtant, leur intégration à la profession est plus facile que pour ceux et celles qui ont obtenu leur diplôme à l’extérieur de nos frontières. Pourrions-nous en attirer davantage ?
Par Jean-François Venne
L’étude de la firme Aviseo réalisée pour l’OAQ indique que seulement 6 % de la population étudiante en architecture provient de l’international et 7 % des autres provinces canadiennes. C’est peu dans un contexte où l’on prévoit un écart de 10 % entre la demande et le nombre d’architectes sur le marché au cours des 10 prochaines années.
L’augmentation du contingent étudiant étranger se bute toutefois à plusieurs obstacles. « L’un des principaux défis réside dans l’équivalence de la scolarité nécessaire pour être admis dans un programme d’architecture, explique Izabel Amaral, directrice et professeure agrégée à l’École d’architecture de l’Université de Montréal. Les dossiers sont étudiés au cas par cas, et le parcours scolaire varie grandement d’un pays à l’autre. »
Elle ajoute que les droits de scolarité, qui s’élèvent à plus de 10 000 $ par trimestre au deuxième cycle pour les étudiants et étudiantes de l’étranger*, peuvent aussi constituer un frein. Les personnes venues de France ou de la Belgique francophone jouissent toutefois d’ententes et paient les mêmes droits que la population d’ici.
Les universités sont également ralenties par leur capacité d’accueil limitée. L’accroître exige plus d’espace, et plus de ressources humaines et financières. « Si l’augmentation des étudiants n’est pas accompagnée d’un rehaussement de nos moyens, la qualité risque de diminuer, et ce n’est pas une option envisageable pour nous », conclut Izabel Amaral.
* Selon les plus récentes informations disponibles, ces droits passeront à 20 000 $ dès l’automne 2024.
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Erratum
Cet article a été corrigé depuis sa publication. Une légende de photo mentionnait initialement que l’architecte Jordi Jordana avait agi comme concepteur principal et chargé de projet pour le Pavillon des soins critiques de l’Hôpital général juif. Or, M. Jordana a plutôt agi comme membre de l’équipe de conception et d’exécution lors de ce projet.